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Jeunesse camerounaise et pouvoir politique : acteurs de façade ou partenaires de décision ?

Au Cameroun, comme dans de nombreux États africains, les jeunes sont partout dans le discours politique et presque nulle part dans la décision. Ils représentent la majorité démographique, les troupes militantes les plus visibles, la force de mobilisation la plus décisive en période électorale… mais restent largement absents des espaces où se décident les priorités budgétaires, les réformes institutionnelles ou les grandes orientations de l’État.

La question — les jeunes Camerounais ont-ils réellement une place dans les décisions politiques ou sont-ils simplement mobilisés en période électorale ? — oblige à regarder derrière la rhétorique officielle de « l’implication de la jeunesse » et à examiner trois dimensions :

  1. la réalité de leur participation formelle,
  2. les pratiques de mobilisation électorale et de contrôle,
  3. les nouvelles formes d’engagement qui cherchent à contourner ce verrouillage.

1. Un poids démographique massif, une visibilité politique encadrée

Sur le plan démographique, les jeunes constituent le cœur de la société camerounaise. Les analyses de la Fondation Friedrich Ebert déjà en 2011 montraient une jeunesse numériquement dominante mais politiquement ambivalente : méfiante vis-à-vis de la politique, mais consciente de son importance vitale pour le devenir du pays. library.fes.de

Depuis lors, les données convergent :

  • La grande majorité du corps électoral est jeune, mais une part significative reste non inscrite sur les listes, ou s’abstient. Une étude sur la participation des jeunes à la vie publique au Cameroun met en évidence le décalage entre discours d’« empowerment » et obstacles concrets à l’engagement (manque de confiance, précarité socio-économique, sentiment d’inefficacité politique). nkafu.org
  • Une recherche psychosociale sur l’abstention des jeunes diplômés montre que le sentiment de privation relative (l’impression que les efforts fournis ne conduisent à aucune amélioration réelle) et la faible confiance dans les institutions alimentent l’abstentionnisme. cpp.numerev.com

Autrement dit, les jeunes ne sont pas « naturellement » désintéressés : ils perçoivent souvent le jeu politique comme verrouillé, ce qui réduit leur projection dans les arènes formelles de décision.

2. Une mobilisation électorale intense… mais largement instrumentale

2.1 Les jeunes comme « bras » de la machine partisane

En période électorale, le paysage change brusquement :
les partis politiques découvrent une jeunesse soudain centrale. Elle devient :

  • main d’œuvre pour coller les affiches, animer les meetings, inonder les réseaux sociaux ;
  • relais locaux pour convaincre, intimider parfois, ou occuper l’espace public.

Les élections présidentielles de 2018 ont illustré cette dynamique : forte implication des jeunes dans les campagnes, affrontements discursifs sur les réseaux sociaux, mobilisation dans les meetings, mais peu de jeunes aux postes de décision dans les états-majors de campagne ou dans la négociation des programmes. Wikipédia

Les premières analyses de la présidentielle de 2025 confirment le même schéma : forte mobilisation citoyenne, dont une large part de jeunes, mais structure de pouvoir inchangée, dominée par des élites expérimentées et masculines. Courrier international

2.2 La « jeunesse » comme décor légitimant)

La jeunesse sert aussi d’argument symbolique.
On assiste à :

  • la nomination de quelques jeunes à des postes visibles, souvent sans réel pouvoir sur les arbitrages majeurs ;
  • la création ponctuelle de conseils ou comités consultatifs de jeunesse, peu dotés de moyens, rarement écoutés lorsque les décisions se jouent réellement.

C’est ce que beaucoup d’analystes appellent une « inclusion de façade » : la présence de jeunes devient un élément de communication politique, davantage qu’un levier de transformation de la décision publique.

2.3 Un environnement parfois répressif

La frontière entre mobilisation et instrumentalisation se durcit quand la contestation survient. Un Policy Brief d’International IDEA sur la criminalisation de la dissidence des jeunes prend le Cameroun comme cas emblématique : tout en affichant la volonté de renforcer la participation politique des jeunes, l’État recourt à des outils répressifs (justice pénale, tribunaux militaires, législation antiterroriste, surveillance) pour neutraliser les formes de mobilisation jugées menaçantes. idea.int

Résultat paradoxal :

  • les jeunes sont encouragés à « s’engager »,
  • mais sévèrement sanctionnés lorsqu’ils transforment cet engagement en contestation structurée.

3. Espaces réels de participation : entre marges institutionnelles et innovations citoyennes

Dire que les jeunes ne servent qu’en période électorale serait pourtant réducteur. Il existe des zones de densité participative, souvent en marge des espaces formels.

3.1  Engagement dans la société civile et le plaidoyer

Beaucoup de jeunes Camerounais investissent aujourd’hui :

  • des ONG de droits humains, de gouvernance, de transparence électorale ;
  • des initiatives locales (associations estudiantines, collectifs urbains, groupes de plaidoyer sectoriels).

Ces espaces, moins verrouillés que les partis, permettent :

  • la production d’expertise citoyenne,
  • le suivi des politiques publiques,
  • la formation à la prise de parole et au leadership.

Les travaux sur la participation des jeunes à la vie publique au Cameroun montrent que cette voie associative est devenue un des principaux canaux de socialisation politique de la jeunesse, en particulier pour ceux qui ne se reconnaissent pas dans l’offre partisane traditionnelle. nkafu.org

On peut rapprocher cette dynamique de ce qu’on observe ailleurs en Afrique : en RDC, par exemple, des mouvements jeunes et la société civile jouent un rôle clé dans la gouvernance locale post-conflit, en créant des espaces de dialogue et de contrôle citoyen, malgré un contexte difficile. nkafu.org+1

3.2  Activisme digital : entre nouvelle agora et champ de bataille

Les réseaux sociaux ont ouvert un champ d’expression inédit :

  • Twitter/X, Facebook, TikTok, WhatsApp deviennent des arènes où les jeunes commentent, analysent, dénoncent, mobilisent.
  • Des campagnes de fact-checking, de sensibilisation électorale ou de dénonciation de la corruption sont portées par des jeunes professionnels de la communication, journalistes, influenceurs citoyens.

Mais une étude de 2024 sur la « difficile mobilisation des citoyens au Cameroun » rappelle un point important : le dynamisme en ligne ne se traduit pas automatiquement en participation électorale ou en engagement institutionnel. Beaucoup de jeunes restent sceptiques sur l’efficacité du vote, même lorsqu’ils sont très actifs sur les réseaux. idl-bnc-idrc.dspacedirect.org

On retrouve là une tension structurante une jeunesse hyper-informée et hyper-expressive, mais toujours confinée à la périphérie du pouvoir formel.

4. Pourquoi les jeunes restent-ils marginalisés dans la décision ?

Plusieurs facteurs se combinent.

4.1  Architecture du pouvoir et culture politique

Le système politique camerounais reste largement présidentialiste, centralisé et dominé par des élites anciennes. Les logiques de loyauté, de clientélisme et de contrôle l’emportent souvent sur l’ouverture, la rotation et la méritocratie. Dans ce cadre, l’arrivée de jeunes réellement autonomes et porteurs de demandes de rupture apparaît comme une menace potentielle pour l’équilibre des alliances, plus qu’une ressource.

4.2  Fragmentation et précarité de la jeunesse
La jeunesse n’est pas un bloc homogène. Elle est traversée par :

  • des fractures sociales (précarité extrême vs classes moyennes émergentes),
  • des clivages territoriaux (villes / campagnes, zones en conflit ou non),
  • des divisions linguistiques et régionales.

Une partie importante des jeunes est absorbée par la lutte pour la survie quotidienne. Dans ce contexte, la politique formelle apparaît souvent comme lointaine, peu crédible ou trop coûteuse à investir.

4.3  Absence de véritables mécanismes de co-décision
Au-delà du discours sur l’« inclusion », il manque au Cameroun :

  • des dispositifs institutionnalisés où la jeunesse a un pouvoir réel : conseils consultatifs dotés de moyens, quotas jeunes dans certaines instances de décision, budgets participatifs incluant explicitement des organisations de jeunesse, etc.
  • des mécanismes transparents de sélection et de renouvellement : beaucoup de « jeunes cadres » sont cooptés selon des critères de loyauté, pas de représentativité ou de compétence.

5.  Et maintenant ? Conditions pour une place réelle des jeunes dans la décision

Répondre honnêtement à la question, c’est dire : Aujourd’hui, les jeunes Camerounais ont surtout une place dans la logistique politique, la communication et la mobilisation, mais très peu dans la décision.

Cependant, cette situation n’est ni définitive ni irréversible. On peut identifier au moins cinq leviers de transformation.

5.1. Repenser les partis politiques de l’intérieur

Les partis demeurent des vecteurs centraux de l’accès au pouvoir d’État. Trois conditions seraient nécessaires :

  • des sections jeunesse dotées de vrais pouvoirs internes (droit de proposition, droit de veto sur certaines orientations, représentation garantie dans les directions) ;
  • des mécanismes statutaires de renouvellement générationnel (limitation des mandats internes, quotas jeunes sur les listes électorales, etc.) ;

une culture de débat interne acceptant la contradiction, y compris venant des jeunes.

5.2. Institutionnaliser la participation citoyenne des jeunes

Il s’agit de passer de la consultation symbolique à la co-décision :

  • création de conseils de jeunes au niveau communal, régional, national, avec mandat clair, budget minimal et obligation pour les autorités d’y répondre ;
  • intégration systématique d’organisations de jeunesse dans les processus de co-construction des politiques publiques (éducation, emploi, numérique, environnement, etc.).

Ces mécanismes existent dans d’autres pays ; leur adaptation au contexte camerounais dépend davantage de volonté politique que d’impossibilités techniques.

5.3. Valoriser l’expertise produite par la jeunesse

Les jeunes Camerounais produisent déjà de la connaissance politique :

  • enquêtes citoyennes,
  • analyses de politiques publiques,
  • rapports d’observation électorale,
  • contenus de sensibilisation de haute qualité sur les réseaux.

Reconnaître cette expertise suppose :

  • de l’inviter dans les espaces institués (parlements jeunes, commissions mixtes, auditions publiques) ;
  • de cesser de réduire la jeunesse au registre de « l’émotion » ou de « l’inexpérience » pour la reconnaître comme productrice légitime d’analyse.

5.4. Protéger la participation plutôt que la criminaliser

Tant que la contestation politique des jeunes pourra être assimilée à de la déviance à réprimer — comme le documente le Policy Brief sur la criminalisation de la dissidence juvénile au Cameroun idea.int — l’engagement restera dangereux, donc fragile.

Garantir une place réelle aux jeunes dans les décisions suppose au contraire :

  • de protéger la liberté de manifester,
  • de limiter l’usage abusif de l’arsenal antiterroriste,
  • et de considérer la critique comme une ressource pour améliorer les politiques, non comme une menace à étouffer.

5.5. Articuler espaces numériques et espaces institutionnels

Enfin, il est crucial de créer des ponts entre :

  • l’agora numérique, où les jeunes débattent, dénoncent, proposent,
  • et les institutions, où se votent les lois et se décident les budgets.

Cela peut passer par :

  • des consultations publiques en ligne dont les résultats sont discutés au Parlement ou dans les conseils municipaux ;
  • des plateformes où les jeunes suivent en temps réel l’exécution des promesses et du budget ;

des obligations de retour (feedback) des autorités sur les contributions citoyennes.

À ce stade, les jeunes Camerounais ne sont pas absents de la politique, ils sont sur-présents dans sa périphérie et sous-représentés dans son centre. Ils constituent la force vive des campagnes, la voix la plus audible sur les réseaux, le réservoir le plus riche d’innovations civiques, mais restent confinés aux marges de la décision.

La vraie question n’est donc plus de « faire participer les jeunes », mais de reconfigurer la manière dont le pouvoir se construit, se partage et se renouvelle au Cameroun. Tant que la jeunesse sera pensée comme une masse à encadrer plutôt que comme un partenaire à associer, la mobilisation électorale restera une parenthèse, et la frustration politique continuera d’alimenter abstention, colère silencieuse ou radicalisation.

À l’inverse, si l’on accepte de déplacer le centre de gravité de la décision — en ouvrant les partis, en institutionnalisant la co-décision, en légitimant l’expertise citoyenne jeune, en protégeant ceux qui s’engagent — alors la jeunesse ne sera plus ce « décor » qu’on allume en période électorale, mais l’un des co-architectes d’un nouvel ordre politique.

C’est à cette condition qu’on pourra, un jour, répondre sans ironie à la question : Oui, les jeunes Camerounais ont une place réelle dans les décisions politiques — et pas seulement sur les affiches, dans les meetings ou dans les hashtags.

Ecrit par : ELSA ROSE NDJOUN CHEPING , pour AfricTivistes Citizen Lab Cameroun

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